mercredi 26 février 2025

À propos d’une de mes publications … appréciation de Lysteria Valmer

Jean Luc Werpin, Éphémérides,
Les Chants de Jane n°30, GJT,
janvier/février 2022, 24 p., 5,00 €

«En matière d’art il convient de suivre la nature créatrice
et de faire des quatre saisons ses compagnes.
De ce que nous voyons, il n’est rien qui ne soit fleur,
de ce que nous ressentons rien qui ne soit lune.
Qui dans les formes ne voit pas la fleur est pareil aux barbares.
Qui en son cœur ne ressent la fleur s’apparente aux bêtes brutes»
Matsuo Bashô (1644/1694)

 
J’aime les allers et retours, j’aime ce qu’ils décentrent de l’ici et du là-bas. J’aime ce qu’ils dévoient du temps !

Bashô (17ème siècle) maître et « père » du « Haïku » naturaliste, Buson (18ème) prince des méditations ontiques, Issa (19ème) et sa romantique du « je » et Shiki (20ème) en Rimbaud du Levant, le haijin (haïkiste) qui ouvre l’ère moderne, tel est le tétramorphe de la poésie japonaise (waka) dont le porte-étendard le plus connu est le « haïku ». Seulement, voilà, hormis Shiki qui en forge le mot en 1891, aucun d’entre-eux n’a jamais su qu’il écrivait des « haïkus ».
1891, au Japon nous sommes en pleine période Meiji, époque d’ouverture au monde après la quasi-fermeture (le « sakoku ») du pays décidé par le shogunat Tokugawa au milieu du 17ème siècle.
L’ouverture signifie pour le Japon, qui reprend le système universitaire occidental, la réception des littératures « nationales » étrangères (anglaise, allemande, française, russe, etc…). Et bientôt apparaît le néologisme « haïku » pour caractériser une poésie et une littérature qui se cherche « nationale ».
D’abord, chez nous -dans les pays du soleil couchant- nous découvrons avec un certain embarras et un désintérêt non moins certain, vers 1860, des « tanka », ces « chants courts » de la poésie japonaise, que nous jugeons être de piètres jeux de mots.
En 1902, cependant, Basil Chamberlain publie « Bashô and the japanese poetical epigram », première étude en langue occidentale consacré au « haïku », dont Paul-Louis Couchoud s’inspire pour publier en 1906 « Les épigrammes lyriques japonaises » qui traduit les premiers « haïkaï » en langue française…mais bien souvent, au départ, des traductions anglaises (Couchoud ne parlant pas le japonais).
Plus d’un siècle d’itinérance du haiku dont, dans le monde francophone, des noms aussi illustres que Paul Éluard, Paul Claudel ou Jacques Roubaud se sont emparés.
Cent-trente ans de « haïku », cent-quinze ans de « haiku francophone » donc et une passion qui n’a jamais été aussi partagée qu’aujourd’hui pour cette forme poétique.
Du caractère « universel » du mot « national » …. sans doute… Le japonais, homme-universel (je ne suis pas sûr, pourtant, que cela leur plaise) ? Le japonais, langue édénique, je veux dire a-temporel -d’avant le temps et pour tous temps, voilà qui ne plaira pas au chinois, en tout cas- ?
Qu’est-ce qui donc dans cette forme poétique particulière touche tant les poètes et le public ?
Sa brièveté, son formalisme, sa puissance évocatrice plutôt qu’énonciatrice, son épure esthétique fondamentale, son esthétique de la communité et de la quotidienneté, son intimisme, son naturalisme, son « immédiatisme/présentialisme » et son immanentisme -ensemble où l’homme occidental contemporain se refait une spiritualité- songe-t-on (autant nécessité de l’époque que signe et contresigne de celle-ci), à moins que ce ne soit sa désarmante complexité, sa paradoxalité unifiante comme l’on montré les maîtres de l’Oulipo ?

Tout cela est vrai et tout cela fait une « poétique » ; Son efflorescence, voire même sa prédominance signe le triomphe de la poésie à notre époque en ce qu’elle témoigne de sa nécessité fondamentale à l’Homme, même à cet homme -qui se croit de la fin de l’histoire- revenu de tout ; des cieux qu’il voit déserté, de la terre dont il a fait le tour, de l’humanisme comme de tous les autres « -isme », des univers qu’il ne voulait pas si grands et même du credo des sciences qui a noyé la vague espérance…
- reste l’écume de nos mers confuses, un peu de technique arrachée aux orages et les rives infranchissables du TWAZAMWA sur lequel cingle ma galère mandingue…demain, demain, je serai au Levant !
Il n’est pas étonnant, ni indifférent, que Jean-Luc Werpin fut d’abord publié au Pays-du-Soleil-Levant où ses textes français furent traduits en japonais et présentés dans les deux langues dans « Anthology Haïku University ».
Puis ce furent des publications dans la Revue du tanka francophone et enfin la publication de deux recueils, « Menues Monnaies » et « Les Fines Rides du Temps » chez Jacques Flament.
Avec ce troisième recueil, Éphémérides, publié sous le numéro 30 de la collection« Les Chants de Jane », Jean Luc Werpin s’affirme une fois de plus comme l’une des valeurs sûres du genre dans l’espace francophone et n’en doutons pas, lui qui est disciple du haijin Yasushi Nozu, du Japon.
Comment ne pas être frappé par exemple, par le très « bashôéen » : « le cri des mouettes/emporte le silence/ ---- plus vives les vagues », le très « shikiste » : « J’écraserai mes haines/ comme un vieux mégot/ trop longtemps mâchouillé/ / puis/dépouillé de tout/ léger comme une plume/ je partirai/ tutoyer le silence » ou encore le très « busonéen » : « avec le temps/la pierre se fait sable/ ---- je serai poussière » ?
Mais il n’est pas seulement inspiration et hommage aux Antiques, comme en témoigne cette recontextualisation -toute européenne et, pour le coup, je serais véritablement surpris si l’on me disait qu’un japonais aurait pu tout aussi bien l’écrire- au sujet de la crise migratoire syrienne et de la photo de ce petit garçon, Aylan -vous vous en souvenez peut-être- gisant mort sur une plage turque en novembre 2015, lisez plutôt :

« plages océanes
l’écho lourd
d’un lointain naufrage
et
l’enfant
mort
ainsi dit
tout
est dit
d’un rêve
la cruelle
mémoire »

S’il est un procédé poétique qui subsiste dans la poésie contemporaine -au contraire de la rime, par exemple- c’est l’allitération. Le jeu en est particulièrement marqué dans l’écriture de Jean Luc Werpin, comme le montre ce tercet : « blessures/ ~ mes usures/ susurrent » mais, me direz-vous, est-ce encore un haïku ?
On sait en effet qu’un haïku japonais (on préfèrera cette épithète à « traditionnel ») se compose de 3 vers composé successivement de 5, 7 et 5 mores. On ne discute plus aujourd’hui, me semble-t-il, de ce que l’on pourrait nommer la « conversion syllabaire » aux fins d’adaptation. Un « véritable » haïku francophone c’est donc 3 vers de 17 syllabes réparties, 5/7/5. Cependant, d’une part, il a toujours existé dans les haïkus japonais des formes irrégulières dont les transgressions ont été admises, ce sont les haikus « hachô » (au « rythme brisé ») qui distinguent entre poème « ji-amari » (avec une « more/syllabe en trop ») et « ji-tarazu » (avec une « more/syllabe en moins ») et, d’autre part, Jacques Roubaud -remarquant que le haïku était basé sur les nombres premiers- en a de longue date proposé une restructuration avec le fameux « haïku oulipien généralisé » (de structure 5/3/5). D’autres auteurs -on pense évidemment, pour la Belgique, à Marcel Peltier- en ont proposés leur version. Développant cette idée et constatant que la forme « roubaldienne » s’inscrit également dans la « suite de Fibonacci », Jean Luc Werpin en propose donc de nouvelles expressions sous les formes 3-2-3 .
Et puis, sommes toutes, toutes ces questions techniques s’effacent devant la définition « werpinéenne » du haïku : « haïku écrit ~ / j’offre du temps / à l’instant ».
Le temps n’est-ce-pas l’enjeu des « éphémérides » (éphémères rides) précisément ? Que vous leur donniez le sens de calendrier « détachable », de « chronique » (au sens médiéval, cela va sans dire) ou de « calendes astrales », c’est toujours du temps dont il s’agit.
Rappel de la tradition humoristique attaché au haïku, Jean-Luc Werpin s’en amuse autant qu’il s’en désabuse, lisez plutôt : « tic et tac/ passe le temps/ cet assassin » ; « jour des morts ~/ la mine réjouie/ de la fleuriste » ou encore : « peu à peu/ l’arbre se dépouille/ ~je me mens ».
Le « Tout » ne se dit pas, enseignait Jacques Lacan, car tout est impossible à dire. Lacan eut un succès frappant au Japon, on ne s’en étonnera pas vu le goût des japonais pour les jeux de mots et pour l’évocation et la convocation plutôt que pour l’énonciation. Ainsi le texte du haïku sera-t-il par nature polysémique et ouvert à interprétation.

J’en termine ainsi de cette chronique : « à petit cris/ ma voisine succombe / ---- cinq à sept », cette voisine, était-ce lui avec elle, elle avec un autre, peut-être même était-ce vous… ou… votre voisine ?
Je vous avais dit que j’aimais les allers-retours…et, les femmes -surtout la vôtre- cela va de soiE !
Lysztéria Valner

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Poème …

sans regrets pour l’envie laissée là sur le bord de ma route © jean luc werpin 12/04/2025