vendredi 27 janvier 2023

Du Haïku à mes Menues Monnaies

Du Haïku à mes Menues Monnaies


句集「小銭(Menues Monnaies)」の俳句

Jean Luc Werpin

日本語訳 皆川眞孝 Masataka Minagawa, 

(traducteur de l'article en japonais)

Je vous épargne la traduction de cet article 

en japonais mais je la tiens à disposition 

si vous le souhaitez.

***

loin de son étang 

elle ne plonge plus

la grenouille


C’est en 2016, que je rencontre pour la première fois le haïku en découvrant « Au Fil de l’Eau » le premier recueil de haïkus francophones regroupant des écrits de Paul-Louis Couchoud, d’Albert Poncin et André Faure. Séduit par ces petits poèmes et soucieux d’en apprendre un peu plus, je me procure quelques livres traitant du sujet avant de tenter mes premiers essais.

Je vous épargnerai la lecture de ces tentatives totalement médiocres. Rapidement j’entre en contact avec des auteurs et autrices et je participe à des échanges virtuels sur internet et en présentiel en rejoignant le Kukaï de Bruxelles au sein du quel j’ai fait de bien belles rencontres et reçu de nombreux conseils.

Petit à petit, j’apprends à inscrire mes mots dans la discipline du haïku francophone en respectant un 5/7/5 strict, je me plie aux mots de saison, je découvre des notions de Wabi-Sabi, j’apprends ce que signifient « Kiréji, Toriawase, Ichibutsujitate, etc ».

Mes essais me semblent moins médiocres et commencent à susciter un certain intérêt auprès mes interlocuteurs.


littoral désert

~ la mer d’automne dépose

quelques coquillages

***

l’écume du temps

déposée sur tes cheveux

~ le galop des vagues

***

vacances d’été

~ devant la vieille maison

un vélo d’enfant


Au cours de l’année 2017, je suis invité à participer au groupe FaceBook « Haïku Column » dirigé par Monsieur Nagata Mitunori et animé par Madame Mine Mokuse. Au sein de ce groupe international, on écrit le Haïku sur deux lignes avec la volonté de favoriser le Toriawase. J’ai intensément collaboré avec ce groupe d’abord en tant qu’auteur avant d’y travailler en qualité de critique. J’ai été traduit en japonais et publié dans les six premières anthologies du « Haïku University », dans le Saijiki consacré aux mots de saison liés au printemps, ainsi qu’à trois reprises dans des revues purement japonaises.


retour des grues

~ la couronne rouge 

des érables

***

première aurore

~ bien ordinaire l’an neuf 

s’ébroue à peine

***

vent frais du ponant 

~ sur la plage 

le sable asséché


C’est cette expérience qui est le point de départ de mes Menues Monnaies qui ont été publiées en France en juillet 2020. Mes Menues Monnaies exposent ma vision et ma pratique du haïku francophone.


le cri des mouettes

emporte le silence

~ plus vives les vagues

***

morne Mer du Nord 

~ ses vagues grises sans forces 

déroulent l’ennui

***

jour des morts

~ la mine réjouie

de la fleuriste


Dans ce recueil j’ai clairement pris le parti de m’affranchir de certaines balises qui encadrent le haïku francophone sans pour autant m’éloigner de ce qui me semble l’essentiel dans le Haïku de tradition, à savoir la célébration de l’instant, le réenchantement de la banalité et de l’éphémère, la sobriété et la brièveté du propos.

Avec mes Menues Monnaies, j’ai conservé l’habituelle disposition sur trois lignes mais j’ai pris davantage de libertés avec le nombre de syllabes pour que mon petit poème puisse être lu sur une seule respiration, c’est toujours pour moi un impératif de réciter mon poème sur un souffle. Autant que possible, je tente de proposer deux images, parfois oxymoriques et de les faire entrer en résonance même si je ne refuse pas la construction en une seule expression.


malgré la maladie

je contemple le magnolia

en fleurs

***

tant vive la vague

venue à ma rencontre

~ si humble sa fuite

***

nouvelle lune 

plus sombre l’ombre

sans les ombres

***

déjà le réveil ~ 

si fine la soie des rêves 

ne résiste pas 

***


Parfois même une extrême brièveté invite le lecteur à s’immerger dans l’instant proposé afin de le percevoir et de le ressentir.


fin d’orage ~

bien silencieuse 

la rizière

***

solstice d’été 

~ fatigué

le jour lâche prise


Ces écarts avec la règle ne sont pas le fruit du hasard mais ils sont issus d’une réflexion née au départ de la fréquentation des réflexions de Maurice Coyaud, de la lecture des Pop’s de Jack Kerouac et plus récemment des Mop’s de Marcel Peltier et de ma pratique du haïku au sein du groupe Haïku Column.


le doigt 

dans le nez

~ l’enfant


Aujourd’hui, j’ai de plus en plus le sentiment en me référant à l’hypothèse Sapir-Whorf que le Haïku est consubstantiel à la langue et à la culture japonaise. Nous, les non-japonais avons pris le parti d’écrire un poème monostique sur trois lignes, nous confondons allègrement mores et syllabes et nous affublons volontiers nos créations d’un zen de pacotille pour « faire couleur locale ».

Je me méfie de toute traduction du japonais au français car elle est à mes yeux souvent source d’ambiguïté par rapport au sens original. Il suffit pour s’en rendre compte de comparer les multiples traductions du Haïku de Bashô évoquant le plongeon de la grenouille.

Voilà pourquoi aussi, je ne prétends plus écrire de haïkus mais que je préfère présenter, sans les qualifier, mes petits mots sur trois lignes pour offrir un peu de temps à l’instant, célébrer l’éphémère, évoquer l’ineffable.

Offrir peu de mots à mon lecteur afin qu’il puisse s’immerger librement dans mon poème sans me subir telle est la démarche de mes Menues Monnaies.

En règle générale, je compose mes avatars de haïkus en les écrivant sur une seule ligne de 13 ou 14 syllabes. Je les laisse ensuite murir quelques heures, voire quelques jours. Je relis alors plusieurs fois mes mots à haute voix pour en évaluer le rythme et les sons. C’est à ce moment que le haïku prend sa forme définitive, des mots s’en vont, d’autres mots s’en viennent, l’inutile est éliminé autant que possible afin de conserver l’essentiel.

Pour clôturer cet article et illustrer mon dernier paragraphe, je vous proposer un de mes haïkus et sa réduction à l’essentiel en passant du classique 5/7/5 à un 2/3/2 plus dépouillé et réduit à l’essentiel.


en pied de falaise

les fracas de l’océan

~ la vague s’en va

***
fracas

et la vague 

s’en va


Mes Menues Monnaies ne sont rien d’autre qu’un hommage rendu par un francophone au Haïku de tradition, c’est à dire à celui du Japon.


loin de son étang

elle ne plonge plus

la grenouille

池遠し/もう飛び込めぬ/蛙かな


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

RÉCRÉATION ou RE-CRÉATION LITTÉRAIRE

RÉCRÉATION ou RE-CRÉATION  LITTÉRAIRE    (rien de plus mais rien de moins) Réduction … du 5/7/5 au poème d’un seul mot  au départ du 5/7/5 o...